Chez les femmes âgées atteintes d'un cancer du sein hormono-sensible, la question de l'intérêt de la chimiothérapie adjuvante reste controversée. L'étude ASTER 70s (GERICO11), menée auprès de 1 089 patientes âgées de 70 ans et plus, est la première étude randomisée de phase III à évaluer l'impact d'une chimiothérapie adjuvante dans cette population à haut risque, défini par une signature génomique : le Genomic Grade Index (GGI).
Une efficacité non démontrée, une toxicité confirmée
L'étude a comparé deux groupes de patientes : l'un ayant reçu une chimiothérapie suivie d'une hormonothérapie, et l'autre ayant reçu une hormonothérapie seule.
Après un suivi médian de 7,8 ans, les résultats montrent que l'ajout de la chimiothérapie n'apporte pas de bénéfice significatif en termes de survie globale. À quatre ans, le taux de survie était de 90,5 % dans le groupe chimiothérapie, contre 89,3 % dans le groupe sans chimiothérapie. À huit ans, les taux étaient respectivement de 72,7 % et 68,3 %. La différence de 4,5 points à huit ans n'est pas statistiquement significative.
Sur le plan de la tolérance, la chimiothérapie s'est révélée nettement plus toxique. Des effets indésirables de grade 3 ou plus sont survenus chez 34 % des patientes traitées par chimiothérapie, contre seulement 9 % dans le groupe hormonothérapie seule. De plus, les patientes ayant reçu une chimiothérapie ont rapporté une détérioration plus marquée de leur qualité de vie, notamment en lien avec la fatigue, les douleurs, les troubles digestifs et une baisse de l'autonomie.
« L'étude ASTER 70s constitue un tournant dans la prise en charge des femmes âgées atteintes d'un cancer du sein. Pour la première fois, une étude de phase III montre que l'ajout de chimiothérapie n'apporte pas de bénéfice statistiquement significatif de survie globale, même chez des patientes à haut risque génomique. Ces résultats confirment que les décisions thérapeutiques doivent tenir compte non seulement de la biologie tumorale, mais aussi de l'âge, de la fragilité et des attentes des patientes. Ils incitent à réviser la manière dont les standards établis chez les sujets plus jeunes sont ensuite appliqués chez les sujets plus âgés sans niveau de preuve élevé ou avec peu de garde-fous. ASTER 70s ouvre la voie à une oncologie plus ciblée, plus juste et plus tournée vers la patiente » déclare le Pr Etienne Brain, oncologue médical à l'Institut Curie, investigateur principal de l'étude ASTER 70s.
Une recherche collaborative au service de la médecine de précision
L'étude ASTER 70s a été conçue et coordonnée par Unicancer R&D, en partenariat avec les équipes de l'Institut Curie. Elle a mobilisé les groupes de recherche GERICO et UCBG spécialisés en oncogériatrie et cancer du sein, et s'est appuyée sur 84 centres investigateurs répartis en France et en Belgique, publics et privés, témoignant d'une organisation rigoureuse et d'une collaboration exemplaire.
« ASTER 70s est une étude emblématique du rôle moteur d'Unicancer dans la recherche académique en cancérologie. Elle montre que des essais cliniques ambitieux, centrés sur les besoins des patients, peuvent répondre à des questions restées trop longtemps sans réponse. Ce travail collectif va permettre de réduire les traitements inutiles et d'améliorer la qualité de vie des patientes âgées, en s'appuyant sur des données robustes et représentatives de la vraie vie », déclare le Pr Jean-Yves Blay, président d'Unicancer.
« Cette étude illustre parfaitement l'engagement de l'Institut Curie à promouvoir une oncologie personnalisée. Ces travaux consacrés aux patientes les plus âgées, souvent exclues des grandes études, sont au cœur des priorités de l'IHU Institut des cancers des femmes, porté par l'Institut Curie et mobilisé pleinement autour de l'accès à l'innovation, la qualité de vie des patientes et la mise en place de parcours très spécifiques, en particulier pour les femmes âgées », précise le Pr Steven Le Gouill, directeur de l'Ensemble hospitalier de l'Institut Curie.
Vers une approche thérapeutique plus individualisée
Cette étude marque une avancée déterminante pour la prise en charge des cancers du sein chez les femmes âgées. Elle confirme la nécessité d'adapter les traitements aux caractéristiques biologiques des tumeurs, mais aussi à l'âge, à la fragilité et aux préférences des patientes. Elle invite à repenser le modèle de développement des innovations améliorant les standards de prise en charge, en prenant plus particulièrement en compte le rapport entre les bénéfices et les risques pour la population âgée.
Les résultats d'ASTER 70s appellent à privilégier une stratégie de désescalade thérapeutique raisonnée chez ces patientes âgées, en réservant la chimiothérapie adjuvante à des cas spécifiques, ce que tentent d'identifier deux programmes complémentaires essentiels de recherche (financés par un PRTK et par l'ARC), conduits sur l'importante collection d'échantillons tumoraux et sanguins de l'étude. Ces résultats ouvrent également la voie à de futures recherches sur des alternatives mieux tolérées, comme les bisphosphonates adjuvants, les inhibiteurs de CDK4/6, ou des approches intégrant des biomarqueurs du vieillissement du patient.
Bibliographie
Adjuvant chemotherapy and hormonotherapy versus adjuvant hormonotherapy alone for women aged 70 years and older with high-risk breast cancer based on the genomic grade index (ASTER 70s): a randomised phase 3 trial. Etienne Brain, Olivier Mir, Emmanuelle Bourbouloux, Olivier Rigal, Jean-Marc Ferrero, Sylvie Kirscher, Djelila Allouache, Véronique D'Hondt, Aude-Marie Savoye, Xavier Durando, Francois P Duhoux, Laurence Venat-Bouvet, Emmanuel Blot, Jean-Luc Canon, Florence Rollot-Trad, Hervé Bonnefoi, Telma Roque, Jérôme Lemonnier, Aurélien Latouche, Julie Henriques, Magali Lacroix-Triki, Dewi Vernerey, and GERICO & UCBG/Unicancer. The Lancet, 31 juillet 2025. DOI: 10.1016/S0140-6736(25)00832-3
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