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ASCO 2025 / Biopsies liquides : une approche révolutionnaire pour intercepter et déjouer les résistances au traitement dans les cancers du sein métastatiques hormonodépendants

Médical

1 Juin 2025

Résultats de l’étude SERENA-6 présentés en plénière

ASCO 2025 / Biopsies liquides : une approche révolutionnaire pour intercepter et déjouer les résistances au traitement dans les cancers du sein métastatiques hormonodépendants

SERENA-6 est le premier essai mondial de phase 3 démontrant le bénéfice clinique d’une nouvelle hormonothérapie, le camizestrant, grâce à un suivi de l’ADN tumoral circulant dans les cancers du sein hormonodépendants métastatiques. Dans cette étude, les biopsies liquides ont permis de détecter et traiter précocement la résistance au traitement de manière à retarder la ré-évolution tumorale et la dégradation de la qualité de vie des patientes qui lui est souvent associée. Présentés en session plénière au congrès de l’ASCO le 1er juin 2025, les résultats de l’étude SERENA-6, co-pilotée par le Pr François-Clément Bidard, oncologue médical à l’Institut Curie, expert international des biopsies liquides, seront publiés concomitamment dans le New England Journal of Medicine. Ces travaux originaux ouvrent des perspectives cliniques inédites pour l’utilisation des biomarqueurs circulants dans le traitement des cancers métastatiques, au-delà même du cancer du sein.

 « Grâce à l’écosystème unique qu’est l’Institut Curie, permettant des collaborations réelles entre chercheurs et médecins, nous avons pu développer une expertise sur la conception et utilisation des biomarqueurs tumoraux circulants pour lutter contre le cancer. Dix ans se seront écoulés entre la mise au point au laboratoire d’un test sanguin détectant les mutations de résistance et les résultats de l’étude SERENA-6. Si l’étude PADA-1, que nous avions menée en France grâce au réseau Unicancer, avait établi la preuve de concept, SERENA-6 grave dans le marbre que notre stratégie d’interception des résistances, grâce à un suivi régulier non invasif par prise de sang et un changement de traitement, mène à un bénéfice tangible pour la survie et la qualité de vie des patientes », déclare le Pr François-Clément Bidard, oncologue médical à l’IHU Institut des Cancers des Femmes de l’Institut Curie, Professeur à l’Université de Versailles-Saint-Quentin et co-pilote de l’étude SERENA-6.

 

Les cancers du sein hormonodépendants représentent la très grande majorité des cancers du sein et ont généralement le meilleur pronostic. Au stade métastatique, le traitement standard le plus fréquent consiste en une hormonothérapie combinant une anti-aromatase (qui bloque l’activation du récepteur aux œstrogènes) avec un inhibiteur de la prolifération cellulaire (inhibiteurs de CDK4/6, les « ciclibs »). Cependant, dans près de 40 % des cas, des mutations activatrices du gène du récepteur aux œstrogènes (ESR1) surviennent en cours de traitement, menant à une résistance à l’hormonothérapie. Ces mutations peuvent le plus souvent être détectées dans le sang plusieurs mois avant qu’elles n’entrainent une ré-évolution du cancer : le postulat des travaux de l’équipe de l’Institut Curie est que l’utilisation de l’ADN tumoral circulant ouvre une « fenêtre de tir » pour cibler ces mutations de résistance. A cette fin, une famille de molécules d’hormonothérapie est particulièrement utile, les SERD (des inhibiteurs sélectifs des récepteurs aux œstrogènes), famille qui n’a longtemps compris qu’une molécule (le fulvestrant, en injection) mais qui s’est récemment agrandie avec de nouvelles molécules orales plus efficaces (dont le camizestrant/AstraZeneca).

 

Menés au sein de l’Institut Curie - premier centre européen de prise en charge du cancer du sein- ces travaux s’inscrivent pleinement dans la dynamique de l’Institut Hospitalo-Universitaire (IHU) Institut des Cancers des Femmes co-porté par l’Institut Curie, l’Inserm, PSL : un programme de rupture dans l’accompagnement des femmes grâce à son approche pluridisciplinaire scientifique et médicale.

 

PADA-1, l’étude pionnière académique preuve de concept

 

En 2022, une toute première preuve de concept avait été publiée avec les résultats de l’essai pionnier PADA-1[1], conçue par le Pr François-Clément Bidard. Cette étude académique française, conduite au niveau national par les groupes Unicancer/UCBG et GINECO, avait exploré en premier le concept d’interception des mutations d’ESR1 dès lors qu’elles deviennent détectables. Cet essai a montré une réduction de 39% du risque d’évolution du cancer si l’hormonothérapie était modifiée en utilisant des injections de fulvestrant pour contrer les mutations d’ESR1 nouvellement apparues. Combiné avec une bonne tolérance de ce changement, PADA-1 a apporté la première preuve de la faisabilité et du bénéfice potentiel de cette stratégie nouvelle.

 

SERENA-6, premier essai mondial d’enregistrement sur la base d’un suivi de l’ADN tumoral circulant

 

Au vu des résultats de PADA-1, l’étude SERENA-6 a repris ce même concept d’interception, mais avec un changement d’échelle : il s’agit d’un essai clinique de phase 3, international, mené en double aveugle chez des femmes présentant un cancer du sein métastatique hormonodépendant. SERENA-6 a utilisé un nouveau SERD oral, le camizestrant, qui a précédemment démontré une meilleure efficacité que le fulvestrant. Au total, près de 3 000 patientes ont participé à la phase de détection de mutations en cours de traitement, l’Institut Curie étant le centre ayant le plus contribué au niveau mondial. Pendant cette phase, les patientes recevaient leur traitement standard d’anti-aromatase combiné à un inhibiteur de la prolifération cellulaire CDK4/6, avec une prise de sang tous les 2-3 mois. 315 patientes ayant développé une mutation ESR1 dans le sang mais dont le cancer n’avait pas ré-évolué ont été réparties dans 2 groupes : le groupe standard a continué le même traitement (anti-aromatase et inhibiteur de CDK4/6) sans modification, alors que le groupe expérimental a reçu le camizestrant et l’inhibiteur de CDK4/6 (ce dernier étant inchangé). L’essai testait donc un changement d’hormonothérapie orale dès l’apparition d’un signal sanguin de résistance, alors que les patientes n’avaient pas encore de signe d’évolution de leur maladie.

 

Les résultats de SERENA-6 démontrent l’efficacité du camizestrant et sa très bonne tolérabilité dans ce contexte d’interception de mutation de résistance. Les patientes recevant le camizestrant ont vu leur risque d’évolution du cancer diminué de 56%, repoussant d’environ 6 mois en moyenne le temps jusqu’à première ré-évolution. A 12 mois, le taux de survie sans progression était de 60,7 % pour les patientes ayant reçu du camizestrant contre 33,4 % chez les autres. A 24 mois, la survie sans progression atteignait 29,7 % contre 5,4 %. Une analyse portant sur le temps jusqu’à deuxième ré-évolution montre par ailleurs un bénéfice conservé à plus long terme. Les effets secondaires du camizestrant se révèlent être limités, avec seulement 1,3% des patientes interrompant le traitement du fait d’effet secondaire (chiffre similaire à celui observé chez les patientes étant restées sous traitement standard). De manière encore plus importante, l’intérêt pour les patientes de retarder la ré-évolution est clairement établi par l’étude de la qualité de vie : les patientes étant restées sous traitement standard malgré la mutation ESR1 ont vu leur qualité de vie décliner après environ 6 mois, contre 23 mois chez les patientes ayant changé de traitement.

 

La stratégie de suivi et ciblage précoce des mutations d’ESR1 démontre ici tout son intérêt pratique : intervenir précocement permet d’éviter ou retarder des ré-évolutions tumorales et sauvegarde la qualité de vie.

 

 Ces résultats montrent donc deux aspects :

  • La confirmation à large échelle du succès de la stratégie initialement développée dans PADA-1,
  • L’efficacité et la bonne tolérance du camizestrant dans ce contexte – ce qui devrait mener à l’autorisation d’utilisation de ce nouveau médicament.

« Ces résultats très positifs valident le potentiel de notre approche d’interception par la détection de mutations dans l’ADN tumoral circulant. Désormais, les perspectives de recherche et clinique sont fascinantes, cette stratégie pouvant potentiellement s’extrapoler dans d’autres situations et types de cancers, et mener à l’enregistrement de nouveaux médicaments », conclut le Pr François-Clément Bidard.

 

L’Institut Curie, une expertise mondiale dans la recherche sur les biomarqueurs circulants

Depuis plus de 15 ans, les équipes de l’Institut Curie – en particulier celle du laboratoire biomarqueurs tumoraux circulants (BTC) explorent et décryptent les informations que les prises de sang peuvent apporter. Il s’agit notamment de comprendre comment ces biomarqueurs pourraient améliorer la prise en charge des patients, avec de nombreuses applications possibles, tant comme marqueurs d’indication thérapeutique, de surveillance de la maladie résiduelle, de compréhension de la biologie des métastases… et ont acquis une expertise mondialement reconnue dans le domaine.

 

Les biomarqueurs circulants font partie d’une classe émergente de biopsies non-invasives et offrent des avantages uniques par rapport aux biopsies tissulaires. Les prélèvements répétés sont possibles, ce qui permet de suivre la réponse au traitement, de contrôler son efficacité ou encore l’apparition d’éventuelles résistances – comme c’est le cas dans les études PADA-1 et SERENA-6. Ils peuvent être mesurés avec une extrême sensibilité, essentielle pour le contrôle de la maladie résiduelle minimale, voire même pour la détection des premiers stades du cancer.

 

L’expertise développée à l’Institut Curie embrasse l’ensemble de ce champ de recherche : des recherches de laboratoire (découverte de nouveaux biomarqueurs sanguins, mise au point de nouvelles approches techniques, études préliminaires de validité analytique et clinique…) à la conception d’essais cliniques originaux démontrant l’intérêt de ces marqueurs. 

 

Références :

Camizestrant + CDK4/6 inhibitor (CDK4/6i) for the treatment of emergent ESR1 mutations during first-line (1L) endocrine-based therapy (ET) and ahead of disease progression in patients (pts) with HR+/HER2– advanced breast cancer (ABC): Phase 3, double-blind ctDNA-guided SERENA-6 trial, session plénière, 1er juin 2025

First-Line Camizestrant for Emerging ESR1-Mutated Advanced Breast Cancer. F.-C. Bidard and Others, New England Journal of Medicine - 10.1056/NEJMoa2502929

 

[1] Lire le communique de presse, 30 septembre 2022 : https://presse.curie.fr/etude-pada-1-un-suivi-par-adn-tumoral-circulant-ameliore-la-survie-de-femmes-atteintes-dun-cancer-du-sein-metastatique-hormono-sensible/?lang=fr

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