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Le rôle clé de l’ADN "poubelle" dans l’épuisement des lymphocytes T dans les cancers

Communiqué

27 Octobre 2023

Le rôle clé de l’ADN "poubelle" dans l’épuisement des lymphocytes T dans les cancers

Longtemps, on a cru que la moitié du génome ne servait à rien. A tel point qu’on parlait d’ADN "poubelle" quand on évoquait ces "éléments transposables"[1] qui se répètent dans le génome hôte de manière dispersée. Or, des chercheurs de l’Institut Curie, du CNRS et de l’Inserm viennent de montrer que l’expression de ces éléments change totalement au cours du phénomène dit "d’épuisement" de certaines cellules du système immunitaire (les lymphocytes T) qui survient dans les cancers. Cette découverte, publiée dans la revue Science Immunology le 27 octobre 2023, ouvre des perspectives nouvelles en immunothérapie.

Acteurs clés de la réponse immunitaire, les lymphocytes T ont pour rôle de détruire les cellules infectées par un virus ou les cellules tumorales. Ainsi, les cellules cancéreuses produisent des antigènes qui soumettent les lymphocytes T à une stimulation prolongée, provoquant un « épuisement » des lymphocytes T au cours du temps, les rendant inefficaces.

 

Cependant, tous les lymphocytes T ne sont pas aussi "épuisés" les uns que les autres. « Certains qualifiés de "progéniteurs" ont conservé une certaine capacité à tuer les cellules cancéreuses, ce qui est moins le cas pour d’autres lymphocytes T dits "terminaux" », explique le Dr Christel Goudot, ingénieure de recherche spécialisée en bio-informatique au sein de l’équipe Réponses immunitaires et cancer de l’Institut Curie dirigée par le Dr Sebastian Amigorena[2], directeur de recherche au CNRS. Or, la distinction entre ces deux catégories de cellules « épuisées » n’est pas bien comprise. Il est cependant essentiel de l’appréhender pour améliorer la prise en charge des cancers.

 

Analyser des dizaines de jeux de données

 

Dans ce contexte, les chercheurs de l’équipe Réponses immunitaires et cancer de l’Institut Curie ont étudié le rôle des éléments transposables du génome dans le contexte d’immunité tumorale. « Le génome humain est constitué de 2 à 4 % de gènes et de 40 à 50 % d’éléments transposables », explique le Dr Christel Goudot. « Un pan entier du génome qui a longtemps été ignoré ! Depuis peu, l’avènement des méthodes de séquençage a montré que ces éléments, appelés aussi "rétrotransposons", jouent un rôle dans la régulation et l’expression des gènes. C’est pourquoi nous nous intéressons autant à eux. »

Des analyses de bio-informatique ont été menées sur une dizaine de jeux de données séquencés à partir d’échantillons de tissus ou de cellules uniques, issues de la littérature scientifique des cinq dernières années, pour étudier les ARN messagers produits lors de la transcription du génome.

 

Décrypter les mécanismes de dysfonctionnement des lymphocytes T induits dans les tumeurs

 

Grâce à ces analyses transcriptomiques, les chercheurs ont démontré qu’une famille de rétrotransposons était réprimée dans les lymphocytes T épuisés terminaux, alors qu’ils ne l’étaient pas dans les lymphocytes T progéniteurs. « Nous avons aussi constaté que cette régulation était assurée par un facteur de transcription (Fli-1) impliqué dans la progression du lymphocyte T progéniteur en lymphocyte T terminal », complète la chercheuse. Cela ouvre des pistes pour moduler l’expression de ces éléments transposables à des fins thérapeutiques.

 

En mettant en évidence l’importance de prendre en compte l’expression des éléments transposables, ces travaux ouvrent de formidables perspectives en immunothérapie face aux cancers, par exemple, tenter d’augmenter l’expression de ces éléments transposables, seule ou avec celle des gènes, afin de conserver la capacité des lymphocytes T à tuer les cellules tumorales, ou à utiliser ces rétrotransposons si longtemps ignorés comme biomarqueurs chez les patients atteints de cancer….

 

Les méthodes employées dans le cadre de cette étude ont été développées grâce à une collaboration avec Mnemo Therapeutics, biotech issue de l'Institut Curie.

 

Référence : P-E. Bonté et al., Selective control of transposable element expression during T cell exhaustion and anti-PD-1 treatment, Science Immunology, 27 octobre 2023. DOI : 10.1126/sciimmunol.adf8838

 

[1] Acteurs clés de la réponse immunitaire, les lymphocytes T ont pour rôle de détruire les cellules infectées par un virus ou les cellules tumorales. Ainsi, les cellules cancéreuses produisent des antigènes qui soumettent les lymphocytes T à une stimulation prolongée, provoquant un « épuisement » des lymphocytes T au cours du temps, les rendant inefficaces.

[2] Unité Immunité et cancer (Institut Curie, Inserm)

 

Légende de l'image : Représentation de l’expression d’une signature de gènes (rose fluo) en single cell © Pierre-Emmanuel Bonté