« Par cancers rares, on entend des cancers dont l’incidence est inférieure à 6 cas pour 100 000. Il s’agit également de pathologies qui requièrent une prise en charge très spécialisée - du fait de leur localisation particulière, leur complexité ou leur survenue dans un contexte spécifique -. Aujourd’hui, encore trop de patients atteints de ces cancers rares souffrent d’errance diagnostique, de traitements inadaptés, voire délétères et de solitude face à cette situation », déplore le Pr Thierry Philip, président du directoire de l’Institut Curie.
Ces cancers rares sont complexes et peuvent survenir dans toutes les localisations du corps. Ils regroupent de nombreux types de cancers. La liste des cancers rares est longue et finalement concerne une part non négligeable de cas. Traiter le problème des cancers rares représente un enjeu majeur pour la cancérologie, c’est pour cela qu’ils font l’objet d’une attention particulière pour trouver des solutions et accompagner au mieux les patients et leur entourage.
« Mieux comprendre la survenue de ces pathologies rares du point de vue génétique, moléculaire, biologique, permet aux chercheurs de l’Institut Curie d’appréhender les phénomènes en jeu et surtout d’élaborer de nouvelles approches diagnostiques et thérapeutiques, grâce à des technologies de pointe et surtout grâce aux travaux menés en commun avec les équipes médicales. Il faut investir car encore plus dans le domaine des maladies rares, c’est la recherche académique et publique qui porte l’espoir », affirme le Pr Alain Puisieux, directeur du centre de recherche.
Des réseaux « cancers rares » et des parcours de soins structurés
En France, des réseaux nationaux de référence (structurés autour de centres de référence) et des centres experts sont en place pour optimiser la prise en charge des patients atteints de cancers rares. Réseau Mélachonat pour le mélanome uvéal, LOC pour les lymphomes oculo-cérébraux, NetSarc+ pour les sarcomes… l’Institut Curie pilote et participe activement à un certain nombre de ces réseaux.
Grâce à cette organisation, chaque patient accède à une expertise médicale en rejoignant des parcours de soins intégrés et spécialisés dès le début de leur prise en charge (diagnostic vérifié avec relecture des prélèvements tumoraux, discussions collégiales de chaque dossier médical). A l’Institut Curie par exemple : CUSTOM (CUrie Sarcomes et Tumeurs complexes des Os et tissus Mous) est un parcours diagnostique personnalisé mis en place depuis plus de 5 ans pour les patients présentant une lésion suspecte de sarcome (de l’imagerie aux analyses anatomopathologiques et de biologie moléculaire jusqu’à la décision thérapeutique en réunion de concertation pluridisciplinaire « sarcomes »).
Autres éléments clés de ces réseaux : la formation des professionnels de santé concernés autant que les relations avec les associations nationales de patients et la communication grand public.
« Plusieurs équipes de l’Institut Curie sont impliquées dans la coordination nationale et européenne de ces réseaux d’expertise des cancers rares. C’est la garantie pour les patients d’accéder aux dernières innovations thérapeutiques. Par ailleurs, ces réseaux offrent un accès mutualisé aux bases de données de patients malades, ce qui est essentiel quand on sait que l’un des défis majeurs à relever réside dans la conduite d’essais cliniques rendue compliquée du fait de la rareté des données », déclare le Pr Steven le Gouill, directeur de l’Ensemble hospitalier de l’Institut Curie.
Prise en charge hautement spécialisée et recherche clinique
« La plus-value des centres experts comme l’Institut Curie est considérable. Des études ont démontré que, dans les sarcomes par exemple, lorsque la chirurgie est menée dans un centre expert, le pronostic des patients est meilleur. Au quotidien, nous suivons des patients aux parcours singuliers, avec des cancers très rares. Et nous mettons tout en œuvre pour trouver des solutions thérapeutiques », témoigne le Dr Sarah Watson, oncologue et chercheuse à l’Institut Curie.
Radiologie interventionnelle, caractérisation moléculaire, anatomopathologie, chirurgies complexes, radiothérapie, essais cliniques ; les équipes de l’Institut Curie explorent et perfectionnent sans cesse toutes les facettes de la prise en charge des cancers rares. Par exemple, concernant les sarcomes, tumeurs complexes et hétérogènes qui peuvent affecter de nombreux tissus, une récente étude a montré qu’une simple biopsie percutanée[1] des sarcomes rétro péritonéaux (au niveau de l’abdomen) effectuée avant tout traitement permettait de préciser le diagnostic dans 98 % des cas pour adapter la stratégie thérapeutique.
Autre exemple en pédiatrie : les stratégies ont considérablement progressé ces dernières années, notamment avec le développement de nouvelles thérapies ciblées. Le larotrectinib notamment (un inhibiteur des récepteurs TRK, Tropomyosine kinase) se révèle extrêmement efficace dans un type de sarcomes infantiles très particulier (lié à une anomalie de la protéine de fusion TRK) et change considérablement le pronostic des jeunes patients.
Quant aux hématologues de l’Institut Curie, leur expertise a permis des avancées majeures, notamment dans la prise en charge des lymphomes (cancers du système lymphatique). Des travaux menés sur les lymphomes oculo-cérébraux (lymphomes cérébraux et/ou intra-oculaires primitifs), ont permis de standardiser des traitements et de tester de nouvelles thérapies ciblées. Dans les lymphomes à cellules du manteau, des résultats viennent d’être publiés. « Il y a six ans, nous avions prouvé l’intérêt de l’ajout d’une immunothérapie pour ces lymphomes très rares et changé le standard de traitement. Désormais, nous venons de montrer que l’effet bénéfique du traitement en jeu persiste au-delà de son arrêt chez les trois quarts des patients, sans rechute », déclare le Pr Steven Le Gouill qui a dirigé ces travaux[2].
Autre cas : le mélanome uvéal, tumeur maligne de l’œil la plus fréquente. Si ce cancer rare peut généralement être traité avec succès lorsqu’il est diagnostiqué à un stade précoce, plus d’un tiers des patients développent des métastases, principalement dans le foie, ce qui limite considérablement les options thérapeutiques et leur pronostic. Or, des travaux coordonnés par l’Institut Curie, centre expert national, ont montré qu’une nouvelle molécule d’immunothérapie (un anticorps bispécifique) : le tebentafusp améliore considérablement la survie d’une certaine population de patients.
Recherches d’excellence et environnement de pointe
Fin 2023, les chercheurs et médecins de l’Institut Curie se sont engagés dans un projet ambitieux dans le mélanome uvéal. Il consiste à découvrir de nouveaux facteurs de risque génétiques pour mieux comprendre la maladie et développer un test sanguin ; à identifier de nouveaux antigènes spécifiques au mélanome uvéal pour développer des immunothérapies et des vaccins thérapeutiques ; et à étudier les mécanismes de la transformation des mélanocytes sains en mélanomes.
« Dans le mélanome uvéal, nous travaillons à identifier des biomarqueurs afin d’évaluer l’efficacité des immunothérapies, trouver de nouveaux critères radiologiques d’efficacité des traitements, d’examiner le process de prise en charge en matière de soins de support (en particulier à travers notre étude Early together). L’Institut Curie dispose d’un environnement médico-scientifique très favorable à l’émergence de nouvelles idées et stratégies. Ces innovations, nous en faisons part aux patients tous les ans lors d’une journée d‘échanges qui cette année se déroulera le 2 février 2024, juste avant la journée internationale contre le cancer » s’enthousiasme le Dr Manuel Rodrigues, oncologue et chercheur à l’Institut Curie.
Autre exemple de recherche en cours : chercheurs et médecins étudient le rôle du fer dans la prolifération des cellules tumorales de sarcome. En effet, certaines molécules développées par l’équipe "Chemical Biology" à l’Institut Curie semblent particulièrement efficaces pour détruire les cellules tumorales de certains sous-types de sarcomes. Dans ce cadre, un projet pluridisciplinaire, impliquant les radiologues de l’Institut Curie, est en cours de création pour quantifier le fer à partir d’images d’IRM et prédire l’évolution de la maladie - avant de démarrer un essai clinique.
De nombreux projets de recherche s’appuient également sur des analyses d’intelligence artificielle. Ainsi, un projet en cours portant sur les lymphomes folliculaires vise à établir des profils spécifiques de la maladie avec des marqueurs de réponse au traitement, grâce à l’intégration de larges jeux de données cliniques, d’imagerie et de séquençage, collectées sur ces 20 dernières années (dans le respect de la réglementation en vigueur).
Une autre étude portée par l’Institut Curie s’intéresse aux leucémies, ces autres cancers du sang liés à la multiplication incontrôlée de cellules sanguines immatures dans la moelle osseuse. Plus précisément, les équipes s’attèlent à comprendre et expliquer l’apparition d’un type particulier de leucémies (leucémies myéloïdes aiguës secondaires) qui surviennent des années après la prise en charge d’un autre cancer par chimiothérapie. Pour se faire, les chercheurs réalisent des analyses en cellules uniques (single cell) ainsi que des algorithmes de machine learning pour décrypter des aspects de la biologie des cellules, avec pour objectif : le développement de voies de prévention des leucémies.
ZOOM sur … les cancers d’origine inconnue. Maladie rare, ces cancers sont découverts par la présence de métastases sans qu’on ait identifié le premier organe touché. Ils représentent entre 2 et 3 % des cas de cancers (soit environ 7 000 patients par an en France) et sont particulièrement difficiles à soigner. En 2019, l’équipe du Dr Sarah Watson a mis au point la première méthode efficace, reproductible et utilisable en routine clinique, pour aider à identifier l’origine de ces cancers. Grâce à un séquençage nouvelle génération RNAseq (permettant de séquencer tous les gènes exprimés dans une tumeur), les chercheurs ont ainsi établi un « classificateur diagnostic » (TransCUPtomics) sur la base des profils d’expression de plus de 20 000 tumeurs et tissus normaux. Ils ont ensuite réussi à développer un algorithme de deep learning (apprentissage profond) qui a appris à apparenter avec succès tel ou tel profil ARN à tel ou tel tissu et organe, cancéreux ou non. |
Pour aller plus loin : 3 fiches annexes :
- Sarcomes de l’adulte et de l’enfant : l’Institut Curie, centre expert national pour une prise en charge pluridisciplinaire. Les sarcomes affectent entre 4000 à 5000 personnes chaque année en France. Ce sont des tumeurs rares, extrêmement complexes, hétérogènes qui peuvent se former dans toutes les localisations du corps au niveau des tissus osseux (ostéosarcome) ou des tissus mous (liposarcomes, fibrosarcomes, rhabdomyosarcomes…). L’Institut Curie est un centre expert pour la prise en charge des sarcomes adultes et pédiatriques.
- Mélanome uvéal : les voies de prise en charge et de recherche pour améliorer la qualité de vie des malades. Comptant 500 nouveaux cas par an en France[3], le mélanome uvéal est la tumeur maligne de l’œil la plus fréquente en particulier chez les personnes âgées d’une soixantaine d’années à la peau et aux yeux clairs. L’Institut Curie accueille la majorité des patients français, en tant que centre référent national pour ce cancer encore mal connu.
- Une expertise et des recherches prometteuses dans les cancers hématologiques rares. Les cancers hématologiques sont nombreux et leur grande diversité est l’une des raisons à l’origine de la complexité des stratégies thérapeutiques face à ces maladies du sang. Avec 16 000 nouveaux cas par an, les lymphomes, cancers du système lymphatique, représentent près de la moitié des cancers hématologiques et on en dénombre une soixantaine de sous-types. L’Institut Curie est expert pour ces pathologies, reconnu pour ses travaux de recherche clinique, translationnelle et plus fondamentale.
[1] Biopsie percutanée : prélèvement de fragments de tissu à l'aide d'une aiguille, au travers de la peau
[2] Long-Term Follow-Up of Rituximab Maintenance in Young Patients With Mantle-Cell Lymphoma Included in the LYMA Trial: A LYSA Study
[3]https://www.medecinesciences.org/en/articles/medsci/full_html/2018/02/medsci20183402p155/medsci20183402p155.html